(A.S.:Bureau d'Ivoire)Appels...

Une force... une force puissante, presque magnétique, l'avait attiré jusque là. Dans la maison de la Lumière, devant la porte du bureau d'Ivoire. Elle n'y serait jamais allée sans ça.

* Qu'est-ce que je fais ici ?*

Un appel... un cri de détresse... son coeur en vibrait encore. Une magie très puissante, forgée par des années d'expérience, une magie blanche, l'appelait.
Elle inspira fortement et entra dans la pièce, sans frapper. Elle ne remarqua le cadenas qu'au dernier moment, lorsqu'il se détacha de lui- même et tomba par terre avec un clong métallique. L'appel devenait pressant.
Dame Meridell... pâle, l'air lasse et fatiguée, mais surtout plus triste que jamais. Ses yeux ne brillaient plus.

" Dame ? Vous m'avez appelée ? "

* Peut être que je m'imagine tout ça. Je dois rêver. *

Qu'avait-il bien pu se passer ? Quelque chose de très grave, sans doute. Elle pouvait sentir le changement au plus profond d'elle même. Lyra tremblait. Elle pressentait un de ces moment où l'on arrive à un croisement et où l'on doit décider du chemin à prendre, sans possibilité de revenir ensuite. Son coeur battait la mesure.

L'infirmière ferma doucement la porte, s'assit dans le fauteuil blanc en face de la directrice de la lumière, et attendit. Elle serra un peu plus son châle noir sur ses épaules.
Le froid...

Cela n'avait pas été une partie de plaisir, de localiser cette école. Ou plutôt, de la localiser magiquement, puisqu'une illusion la projetait à vingt kilomètres de son véritable emplacement pour qui tentait d'entrer sans invitation.
Ensuite, de passer les barrières et les pièges. Les deux directrices étaient des mages extrêmement puissantes, et tout un tas de dispositifs magiques protégeaient l'école, dont les élèves n'avaient certainement pas conscience.
Tout cela en pensée bien sûr, sans bouger de sa demeure, en quelques minutes et tout en préparant à la hâte ses bagages. Plutôt sportif.
Mais l'inquiétude donne des ailes, et Gaëtan était tellement inquiet que ses mains tremblaient. Jamais Meridell ne l'avait appelé de cette façon, et il l'avait sentit si faible...
Non, tous les efforts magiques du monde ne lui était pas de trop pour réussir.
Tout en bouclant les courroies de sa malle et l'attachant magiquement à lui pour la téléportation, le jeune homme finissait de calculer les coordonnées exactes du Bureau d'Ivoire, puis balaya sa chambre du regard. Il n'avait rien oublié.
Dans une puissante décharge magique, il quitta sa maison, au bord de la forêt maudite de Shal'liök, et apparut dans le bureau, suivi d'une solide malle renforcée de fer à courroies de cuir, diverses caisses et une sacoche en peau de dragon bourrée de parchemins.
La pièce était bien telle qu'il l'avait imaginée, claire, décorée d'or et de saphirs en accord avec la directrice qui y présidait.
Dans un fauteuil élégant de cuir blanc était assise une ravissante jeune femme aux fins cheveux azurés et aux grands yeux couleur de ciel, vêtue de soie assortie, qui dégageait une aura unique de métissage d'elfe et de nymphe. Il la salua d'un signe de tête respectueux.
Mais lorsqu'il aperçut Meri, il eut un choc. Cela faisait bien cinq ou six ans qu'ils ne s'étaient pas vus, et pourtant, en cet instant, on aurait dit qu'elle en avait prit une vingtaine. Son teint était grisâtre, ses cheveux d'or avaient adopté un blond cendré terne, ses yeux étaient comme éteints. Son aura blanche était réduite au minimum vital. C'est à peine si il la reconnut.
" Me voilà. J'ai fait aussi vite que possible. Meri...que s'est-il passé ?"

La jeune femme resta quelques instants muette, rassemblant ses forces et son courage. La présence de Lyra et Gaëtan lui faisait du bien, mais elle avait beaucoup à dire et surtout beaucoup à demander.
Elle aurait aimé les accueillir debout, mais elle n'en avait pas la force. A la place, elle se força à un simulacre de son magnifique sourire.
" Oui Lyra, je t'ai appelée. Je te présente Gaëtan, un ami d'enfance à moi. Je...je vous ai appelés tous les deux parce que j'ai besoin de votre aide."
Une pause. Puis, très vite, les yeux baissés.
" Lillyth est morte."
A l'adresse de Lyra :
" Avec Sharkan."
Et à celle de Gaëtan :
" Et Falkenn."
En voyant le jeune homme aux cheveux de feu écarquiller les yeux à cette annonce, elle ajouta :
" Il est revenu, et je ne sais pas ce qu'il s'est passé mais...mais si, j'imagine très bien. Toujours est-il qu'ils...sont morts. Et moi, je sais que je vais mourir."
Elle désigna son aura :
" Bientôt, elle sera éteinte. A mon niveau, mon aura réflète également ma vie. Je pense qu'il me reste quelques heures. Comme vous le savez tous les deux, le lien avec ma soeur est extrêmement fort. Il m'est impossible de lui survivre longtemps, et puis..."
Un aveu d'une voix lasse, avec un sourire désolé :
"...en toute honnêteté, je n'en ai plus envie."
Elle resta ainsi quelques instants. Aucune des deux ne protesta. Parfait, ils avaient compris. Elle ne s'était pas trompé en choisissant ces deux-là, ils seraient forts. Assez pour la tâche qu'elle avait à leur confier.
Meridell releva la tête.
" Sans directrices, l'école s'arrêtera. Beaucoup des élèves n'ont pas d'endroits où aller, ont été persécutés là d'où ils viennent, et commencent tout juste à s'ouvrir aux autres. Je ne peux pas...je ne veux pas les mettre à la rue. Je ne veux pas que cette école meure."
Sa voix s'affermissait tout en prenant un accent rauque, elle toussa. Puis c'est sur un ton plus doux, suppliant, qu'elle continua :
" Ce que j'ai à vous demander est énorme. Si vous n'acceptez pas, je ne vous en tiendrais pas rigueur. Mais malheureusement, ce sera alors la fin de Lumeinyx, de notre rêve à Lillyth et moi. Gaëtan..."
Elle se tourna vers son ami de longue date :
" Je connais tes pouvoirs, ta détermination. Je te connais toi. Je voudrais te demander de reprendre mon poste et de devenir directeur de la Maison de la Lumière. Lyra..."
Elle se tourna vers la jeune femme :
" Tu as été élève ici avant de revenir en tant que professeur. Et quand Marli a demissioné, tu as bien voulu reprendre le poste d'infirmière. Je te suis extrêmement reconnaissante pour tout ce que tu as fait pour cette école, je sais que tu possèdes un pouvoir immense et autant de qualités et de courage...je voudrais te voir directrice de la Maison de la Nuit, pour succéder à Lillyth."
De nouveau un silence. Elle se leva, s'accrochant au bureau pour tenir debout :
" Ce que je vous demande est énorme et difficile. Je voudrais ne pas avoir à le faire. Mais j'ai besoin de votre aide..."

Les dents serrés, Lyra se préparait à l'épreuve. Le jeune homme roux qui avait prit place à côté d'elle avait attiré un instant sa curiosité, puis Meridell avait pris la parole. La demi-nymphe était suspendue à ses lèvres.

Lillyth était morte. Ainsi que Sharkan.

Premier choc. Lyra pâlit. Meridell avait dit ça très vite, cela la faisait souffrir et cela se voyait. Elle ne s'habituerai sans doute jamais à l'absence de sa soeur.
ELLE ALLAIT MOURIR... "Il m'est impossible de lui survivre longtemps, et puis... en toute honnêteté, je n'en ai plus envie."

" Meri..."

" ... je voudrais te voir directrice de la Maison de la Nuit, pour succéder à Lillyth."

" Quoi ? Moi ? Mais..."

Elle poussa un soupir. C'était beaucoup trop d'un coup. Elle aurait eu besoin de réfléchir... Mais Meridell l'avait dit : le temps était compté.

" Je... "

Voyant que Gaëtan ne disait rien, Lyra se leva finalement et prit la parole.

" Vous... Tu sais que je suis incapable de refuser. J'aime cette école et je sais combien elle te tient à coeur. C'est une lourde responsabilité, mais je m'y ferais. Seulement... je ne voudrais pas que tu... fasses quelque chose d'inconsidéré. Je suis très sincèrement désolée pour la mort de ta soeur jumelle. Je sais comment tu l'aimais, elle aussi. Votre lien est aussi fort que celui de soeurs d'âmes.

Mais... Lillyth était déjà morte une fois, elle était devenue un fantôme. Si elle est à nouveau morte, pour de bon, elle a du le faire pour se libérer.
Pour cesser d'être entre la vie et la mort... d'avoir l'impression de marcher sur un fil tendu dans le vide.

Pour être franche, je ne sais pas ce que cela fait d'être fantôme ou morte. Je ne sais ce qui vaut le mieux. Mais elle devait le savoir. Sa souffrance était ta souffrance aussi. Maintenant, elle est libre.
Lillyth ne voudrait pas que tu fasses une erreur. Je ne peux rien t'imposer, si ce n'est de réfléchir. Tu auras besoin de repos.

Et peut être... reviendras-tu un jour.
Si tu me le promets, j'accepterais ta demande, pour Lillyth et toi. "

Ce n'était même plus une demande... c'était devenu une supplication, un murmure, un souffle. Lyra se rassit doucement.
Avec l'impression d'avoir signé un contrat... d'avoir accepté de porter toute la souffrance du monde sur ses épaules.
Elle n'était plus la professeur déterminée et passionée qui était arrivée en début d'année. Elle n'était plus l'amoureuse désespérée d'un demi dieu marin. Ni l'infirmière qui a un remède à tout blessure.
Elle était simplement une petite fille en face d'un destin énorme.
Une chanson de son enfance revint à sa mémoire. Lyra se mit à la fredonner.

La main crispée sur le châle.

* Je serais forte *

Ses habits s'étaient colorés de noir.

* Il le faut *

Un deuil... un espoir...

Gaëtan était resté silencieux. Il savait que Meri voulait une réponse, avait besoin d'aide, et immédiatement. C'était assez visible dans le désespoir de ses yeux. Mais... mais le choc de cette presque double mort le touchait si profondément qu'une plaie immense venait de s'ouvrir en lui. Il n'osait pas parler, de peur de la faire saigner. Un geste de défense instinctif...
Comment Falkenn était revenu, il n'en savait rien. Il était pourtant là, le soir où...ce soir qui était gravé dans sa mémoire comme le pire moment de sa vie. Pas seulement à cause de la tragédie entre deux âmes qui s'aimaient plus que tout et une troisième qui avait, par simple jalousie, brisé cette idylle.
Pas seulement...
La jeune femme, Lyra, venait de se lever. On sentait qu'elle avait peur, mais qu'elle était prête à faire ce sacrifice. Ses mots réflètaient son inquiétude et son affection, sa sincérité.
" Et peut être... reviendras-tu un jour.
Si tu me le promets, j'accepterais ta demande, pour Lillyth et toi. "
Il hocha la tête. Tandis que les vêtements de Lyra viraient au noir, il prit lui aussi la parole. A voix basse, mais ferme.
" Je vois difficilement ce que je pourrais ajouter. Et je vois difficilement comment je pourrais te refuser une telle chose, Meri...mais comme l'as dit Lyra, j'ai besoin que tu me promettes de faire tout ton possible pour survivre. Pour moi. Pour nous. Pour toute cette école. Si j'ai cet espoir, j'essayerais d'être digne de l'honneur que tu me fais."

C'était comme si un poids s'était enlevé de ses épaules, et en même temps, une partie de son contrôle d'elle-même s'était brisé, la laissant encore plus faible.
Elle hocha la tête, tenta de nouveau un sourire :
" J'essayerais. Je vous promets d'essayer."
Même si cette vie lui paraissait aussi fade qu'un monde vide, depuis qu'une partie d'elle-même s'était éteinte. Même si il lui paraissait aberrant, impossible de réussir à survivre si marcher était déjà si difficile. Mais sa parole était donné. Comme toujours dans sa vie, elle prendrait sur elle, à cause de son trop grand sens de la responsabilité...et de sa tendance à s'attacher si terriblement aux gens.
La jeune femme détacha un fermoir à son cou, tira de sous sa tunique un médaillon en or en forme de simple moitié de cercle. De sa poche sortit la deuxième moitié, l'objet qu'elle avait retiré du cou de Lillyth.
Elle réunit les deux médaillons, et aussitôt une toile complexe de fils couleur bronze et de symboles apparut, englobant toute l'école. Meri leva la main, murmura un sort. Les symboles se détachèrent, semblèrent rentrer dans sa paume, lui rendant un peu de sa force.
" Vite, avancez chacun une main !"
Lorsque la main de Lyra et celle de Gaëtan entrèrent en contact avec l'objet, les fils frémirent, puis réapparurent. Plus forts, et sans erreur possible, d'une autre nature. Dans une couleur violet claire.
" Cet engagement magique vous a donné le contrôle symbolique de l'école, et celui, pratique, des sorts qui l'englobent. Il faudra plus tard les tisser, en attendant..."
Meridell sépara les deux parties et leur en remit chacun une.
Puis elle ferma les yeux, et un appel, simple, pressant, retentit dans l'esprit de tous ceux qui se trouvait dans l'école.
" REUNION URGENTE DANS LA GRANDE SALLE POUR TOUS."
Enfin, en s'appuyant sur le bureau, elle se leva.
" On devrait déjà y aller. Vous...vous voulez bien m'aider ?"